On m’a volé mon masque
Mon masque d’enfant
Ce masque doux et rêveur, ce masque blanc
On l’a déchiré avec méfiance
Ôté morceau après morceau
On m’a arraché mes grands yeux d’insouciance
On a emporté loin ce visage pourceau
On m’a volé mon masque de chérubin joufflu
On m’a enlevé ma douce crédulité, ma naïveté candide
Mes questions farfelues, mes désirs insipides
On a emporté mes rêves et mes charmantes humeurs
Mes moues boudeuses ou séductrices
De fillette gâtée, de petite fille en fleur
On a volé le feu de mes pommettes roses
Qui rougissaient de honte ou face à de belles choses
On a volé mes colères, mes larmoiements factices
On a pris ma gentille jalousie, mes envies, mes caprices
Mes faux airs de dégoût
On a livré mon visage à sa réalité
Calciné à la lumière de ce qui rend fou
On m’a défiguré doucement par lambeaux
On m’a enlevé mon masque
Laissé la peau à vif
Une peau nue et brûlante,
Embrasée de souffrance
Sous le tiède masque de l’enfance
Bouillonnait un masque rongé d’ingratitude
Un masque de cratères, de haine, de turpitudes
Libéré de sa sale candeur, mon visage est violence
Il entraîne mon corps dans sa désespérance
Il s’ébat, se déchaîne mais il est ridicule
Il crie la gueule ouverte, il sue de tous ces pores
Lance des regards haineux de ses yeux noirs qui hurlent
Qui hurlent leur détresse, qui hurlent à la mort
Outré par l’injustice d’être si repoussant
Mon visage crie vengeance
En attendant il hait comme une redevance
Il hait tant qu’il le peut, déteste ses parents
Il hait le monde entier, se déteste lui-même
Il est si rancunier qu’il se blesse, se saigne
A force il se détruit, il faudrait qu’il arrête
Envieux du beau il guette
Il cherche un nouveau masque
Un à qui ressembler
Il observe, il envie, ne sait trop quoi penser
Vos masques ont si ternes
Tant de masques tristes et gris que la fatigue cerne
Tant de masque d’absence
D’yeux perdus et hagards empli d’inappétence
Mais mon visage traque
Il recherche la perle d’entre tous les beaux masques
Il les mime puis il forge, il dessine ses traits
Quelle pénible entreprise
Rafistoler ainsi comme l’étoffe qu’on reprise
Mon masque se tord
Sans cesse insatisfait il rugit, mord
Il arbore des courbes difformes
Se plaît à adopter de nouvelles figures
C’est absurde, assez, qu’il dorme
Et mon visage rêve d’aventures
Il s’imagine plus vrai, plus pur
Dans ses rêves il apprend la vie
Une vie douce, une vie simple
D’injustices, de contraintes
Une vie pleine et riche et l’on peint au hasard
Un coup blanc, un coup noir
Dans ses rêves il apprend que la vie c’est l’espoir
Il s’éveille un peu engourdi
Il s’étire et grimace
Accablé de guerre lasse
Il semble s’être apaisé
Il aiguise peu à peu ce nez
Autrefois si grossier qui ne sentait plus rien
Ni plus aucune saveur, ni plus aucun parfum
Il écarquille ses yeux jadis si pleins de haine
Mon visage s’illumine d’une patience sereine
Mais dès qu’il se regarde, mon visage pâlit
Quel est-il désormais ?
Quel est ce nouveau masque
Que d’autres ont inspiré ?
Prudemment il se découvre, s’ausculte,
Arrange ce masque à sa manière, le sculpte
Lui applique des humeurs, et puis des états d’âme
Mon visage me sourit, le masque tombe, se fane.
Une dernière fantaisie :
Voilà que mon visage s’essaie aux sentiments
Le bonheur lui va à ravir.