Un corps est l’écharpe que l’on tricote,
Il suffit de ne pas perdre le fil
Un corps est le patchwork que l’on assemble
Une mosaïque de loques tombées en chemin
Que l’on ramasse et qu’on reprise
Un corps est la tenture tissée par les autres
Un corps est la broderie que l’on agrémente, que l’on enrichi
Que l’on affine à coup d’aiguille de perles rouges au bout des doigts
Un corps est le futon que l’on déroule un soir
Et qu’on range le lendemain avec les édredons
Un corps est cette taie qui rêve de baldaquin
Un corps est un foulard que l’on égard pour que quelqu’un le trouve
Un regard que l’on perd, pourvu qu’on le retienne
Un corps est le dessous humide de salive, un oreiller de sueur
Un corps est le drap que l’on tord
Quand le tissu est sale et qu’il faut le laver
Un corps est le tablier que l’on tache
D’un peu de confiture, d’une giclée de terre noire d’un bain d’hémoglobine
Un corps est le mouchoir que l’on triture
Le mouchoir qui éponge les larmes, celui qu’on porte près du cœur
Un corps est ce carré de coton que l’on agite au loin
Quand les mots deviennent sourds et qu’il reste les yeux
Un corps est ce chiffon que l’on dédaigne
Un corps est l’étoffe que l’on froisse, que l’on déchire
Ce lambeau maculé que l’on trouve indécent
Un corps est l’outre que l’on vide dans le gouffre des chiottes
L’insupportable poids que l’on traîne partout
Et la triste béance d’une vie insipide
Un corps est le voile qu’on porte comme la foi
Qui couvre nos lèvres de psaumes et étouffe nos murmures
Un corps est la soutane où se perdent les sanglots des robes d’enfant de chœur
Un corps est le drapeau où flottent des idées
Des mots vains et légers qui claquent dans les airs et que le vent emporte
Un corps est la voile gonflée par le vent
Un corps est ce souffle qui nous porte plus loin
Un corps est la bannière de nos rêves les plus fous, d’un fantasme, d’un exil
Un corps est le châle qui tient chaud
Un corps est cette tiédeur, ce feu qui attise le charbon des prunelles et embrase les langues
Un corps est le lange qui accueille la vie
Dans la tiédeur d’un ventre, la douceur d’une mousseline
Un corps est le linceul qu’on emporte sous terre
Et strie les profondeurs d’ossatures nacrées
Un corps est cette perle que seule l’huître connaît
Comme un ver de soie
Un corps est un secret