A demi-mot : « je t’aime »
Un mot de trop le voilà qui saigne
« Je t’aime » se meurt, il dépérit
On l’a trop répété, trop dit
Et on l’a chanté tous en cœur
Comme s’il suffirait au bonheur
Pauvre « je t’aime » ce patrimoine
Ce mot-nument qui monte à l’âme
Trop de « je t’aime » insensés
Le petit mot est mortifié
« Je t’aime » « je t’aime » « je t’aime »
Comme un rempart contre la haine
Mais l’arme s’élime et se brise
Voilà que « je t’aime » agonise
Analphabètes, on manque de mots
Pour dire nos sentiments, nos maux
Il vaudrait mieux se taire parfois
Plutôt que de braire à tout va
Une phrase qui perde de son sens
Et nous résoudre à un silence
Car à force d’être abusés
Nos « je t’aime » sont discrédités
Nos « je t’aime » se font exsangues
Ils deviennent fades sur nos langues
La faute aux lacunes françaises
« Je t’aime » fait dire tant de foutaises
Te quiero n’est pas si puissant
Il désire bien plus qu’il ne ment
Et puis pour faire passe partout
Il y a l’anglais « I like you »
« Je t’aime » est bien trop excessif
En faire l’usage est abusif
Mais on est tous bien maladroit
On le dit, on le pensait pas
Alors comme se témoigner
Toute l’affection qu’on peut s’porter
Je t’adore c’est exagéré
Juvénile et rempli d’excès
Plus conventionnel : je t’apprécie
Ca fait bien propre et bien poli
Mais me voilà désemparée
Pour te dire ce que je voudrais
Les lèvres sèches, la tête vide
Je prends part au palabricide
Du mot souffrant et amoindri
« Je t’aime », voilà, c’est dit.